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État et cultures juridiques autochtones: un droit en quête de légitimité
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La gestion du pluralisme juridique en matière foncière en Afrique subsaharienne francophone – Le Cas de la Côte d’Ivoire

Date de publication:le 26 juin à 16:00
Auteur: Pamatchin Sylvia-Ghislaine Soro

En nous rendant en Côte d’Ivoire, l’idée était de réfléchir sur la gestion de la matière foncière en Afrique subsaharienne francophone. Comment les intervenants perçoivent-ils la place et le rôle des droits coutumiers dans le processus de codification du droit foncier ? Deux tendances se dégagent. En effet, pour les autorités étatiques, il existe une prise en compte effective des règles coutumières dans la gestion du foncier rural (A). Pour les populations locales en revanche, celles-ci ont le sentiment que les règles coutumières en matière foncière ont été abandonnées pour des règles modernes, qu’elles jugent illégitimes (B).

A. La prise en compte effective des règles coutumières dans la gestion de la matière foncière en zone rurale

Le processus de codification en Côte d’Ivoire remonte au décret colonial du 26 juillet 1932, portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique occidentale française. Ce décret, longtemps critiqué en raison d’un défaut de prise en compte des droits coutumiers, continue toutefois de régir la procédure d’immatriculation des terres en zone rurale. En 1963, le législateur adopte le premier code foncier en date du 20 mars 1963. Mais, cette loi n’a jamais été promulguée. Elle ignorait la notion de droits coutumiers sur le domaine foncier rural. Elle privilégiait plutôt la mise en valeur pour la reconnaissance du droit de propriété.

En 1998, une autre loi est adoptée qui porte spécifiquement sur le domaine foncier rural. Cette loi, qui est le fruit d’un consensus politique et d’une longue procédure d’enquête menée par la direction du foncier rural du Ministère de l’agriculture, a placé les droits coutumiers au cœur de la procédure régissant le droit de propriété sur le domaine foncier rural. L’article 3 de la loi distingue à l’intérieur du domaine foncier rural, le domaine foncier rural coutumier. Celui-ci est constitué par l’ensemble des terres sur lesquelles s’exercent:

  • Des droits coutumiers conformes aux traditions ;
  • Des droits coutumiers cédés à des tiers.

Ainsi, le législateur, conscient de l’importance qu’accordent les populations aux règles coutumières en matière de propriété foncière, s’est attaché, à lui accorder toute son importance dans la loi de 1998. Il a alors opéré un pluralisme d’intégration, en reconnaissant la place des droits coutumiers comme point de départ à la procédure d’acquisition du droit de propriété foncière en zone rurale. Cependant, ces droits coutumiers doivent être sécurisés. Et c’est cette sécurisation qui garantit au propriétaire, l’exercice d’un droit de propriété paisible. La procédure de sécurisation passe alors par la demande d’un certificat foncier après enquête, aux frais du demandeur, et de l’immatriculation de la terre dans les trois années qui suivent la demande. De même, l’établissement d’un titre foncier accorde un droit définitif aux nationaux sur les terres du domaine foncier rural.



B. L’abandon des règles coutumières au profit de règles modernes illégitimes

Si la coutume a été prise en compte par le droit moderne, les populations s’interrogent sur la portée de cette prise en compte. En effet, il faut distinguer chez celles-ci deux catégories : d’une part, le propriétaire terrien ou tuteur qui est national, d’autre part, l’exploitant qui peut être allochtone ou étranger. Pendant longtemps, le droit de propriété sur la terre s’est fait sans aucune preuve écrite entre le tuteur et l’exploitant. Bien que les actes sous seing privé soient réputés n’avoir aucune valeur juridique en matière foncière, les populations y ont eu recours souvent. Le droit de propriété devenait alors effectif suite à une vente, une donation en reconnaissance d’un acte de bienfaisance, etc. L’occupation paisible et à long terme devenait alors un important moyen de preuve du droit de propriété.

Depuis l’adoption de la loi sur le foncier rural de 1998, deux situations ont été créées : d’un côté, les terres dont la propriété a été reconnue coutumièrement à des exploitants étrangers avant 1998 demeurent dans le patrimoine de ces derniers. D’un autre côté, toutes les transactions effectuées dans le domaine foncier rural entre un propriétaire terrien et un exploitant étranger ne peuvent nullement faire de l’exploitant, un propriétaire dans le domaine foncier rural, et ce depuis la promulgation de la loi en 1999. Au terme de l’alinéa 2 de l’article 1er de la loi de 1998, seuls peuvent devenir propriétaires des terres du domaine foncier rural, l’État, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes.

Les populations rurales, surtout pour les héritiers des deux catégories qu’elles constituent, se sentent alors lésées. Le domaine foncier rural est certes constitué des terres, mais aussi et surtout de terres cultivables sur lesquelles ont été entreprises des cultures pérennes telles que celles du café, du cacao, ou de l’hévéa. Aussi, la valeur de la terre lors de l’acte de vente ou de donation n’est plus la même que celle sur laquelle, il existe des cultures prometteuses. De ce fait, pour les héritiers des propriétaires terriens, ceux-ci considèrent que les actes de vente ou de donation passés entre leurs ascendants l’ont été intuitu personae, surtout en l’absence de preuve écrite. En conséquence, en cas de décès de l’un des cocontractants initiaux, c’est un nouveau contrat qui doit voir le jour et dont les conditions sont laissées à la libre appréciation des héritiers des tuteurs, quitte à réévaluer la valeur de la terre, objet du contrat. Ensuite, pour les héritiers des exploitants, l’occupation paisible et à long terme dont a été l’objet la terre sur laquelle leurs ascendants ont entrepris des cultures pérennes, est la preuve évidente d’un droit de propriété. Ce droit de propriété tombe alors dans le patrimoine du de cujus et peut légitimement faire l’objet d’une succession.

En outre, la loi de 1998 initie une procédure jugée lourde et coûteuse pour les populations. Aussi, estiment-elles qu’une occupation paisible et à long terme leur assure l’exercice d’un quasi droit de propriété. Elles ne voient alors aucun intérêt à injecter de l’argent dans une procédure longue, coûteuse et qui, pour les étrangers, ne leur assure aucun droit de propriété définitif in fine. Le seul titre qui leur est délivré étant le certificat foncier, reste un titre provisoire.

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